Prologue historique de la Révolution fracassée
Janvier 1793… la France a froid, la France a peur, la France a faim… et sous la férule de la guillotine, la France saigne…
La famine et la peur qui frappaient Paris atteint maintenant le pays dans sa totalité. Le peuple bon enfant, voyait dans les hommes au pouvoir le symbole des vertus républicaines. Il pensait que les mérites dont ils se vantaient leur donnaient le droit d’éliminer leurs opposants. Le peuple était également persuadé que la Terreur était la réponse nécessaire à la coalition des puissances étrangères qui visaient la fin de la République. Le pauvre peuple, pour secourir la patrie, acceptait de subir avec résignation les conséquences de la faillite du régime… Mais la colère grondant dans les foyers, cette compassion ne dura qu’un temps… La politique menée par le pouvoir conduisait la France à la guerre civile, seuls les succès militaires remportés sur les champs de bataille par les soldats de l’An II masquaient encore la déconfiture des gouvernants…
Ce roman met en scène ce que Balzac appelait «l’Histoire honteuse», honteuse pour tous les crimes jamais révélés. Il dénonce certains acteurs méprisables de cette période terrible qui, au nom de la République, usèrent de la peine de mort pour réaliser leurs ambitions politiques. Une minorité agissante d’individus qui détenaient le pouvoir avait fracassé la Révolution française. Par leurs vilenies, ils avaient détruit le souffle de 1789 porteur de tant d’espoirs…
Fracassé le génie des Lumières par la dictature de l’unique pensée révolutionnaire, fracassée la Liberté par la loi des suspects et ses arrestations arbitraires, fracassé le droit à la propriété par les décrets de Ventôse qui spoliaient sans jugement des innocents de leurs biens, fracassée l’Égalité qui n’existait nulle part ailleurs qu’au fronton des bâtiments publics, fracassée la Fraternité par la délation promue par Saint-Just au premier rang des devoirs du citoyen, fracassée la paix par une guerre sans fin avec l’Europe, fracassée la sérénité du peuple par l’omniprésence tentaculaire de la Terreur, fracassé le bien-être des familles par les ravages de la famine, fracassé le droit sacré à une défense équitable par les jugements du Tribunal révolutionnaire et ses monstrueuses lois de Prairial que le peuple désigna «les lois de sang», fracassés les Droits de l’Homme par la peine de mort appliquée sans état d’âme, fracassé l’espoir d’un jugement de clémence par la mort obligatoire à toute condamnation prononcée par les Tribunaux révolutionnaires, fracassé le commerce et l’artisanat ruinés par la démagogique loi du Maximum, fracassée la liberté religieuse, en imposant à une France traditionnellement chrétienne, le stupide culte de l’Etre Suprême, fracassée la Constitution de 1791 en persécutant les députés de l’Assemblée Constituante qui l’avaient votés, fracassée la probité des serviteurs de la Nation, vermoulue par la corruption généralisée, fracassée l’objectivité de la presse par le règne de la démagogie, fracassée la libre circulation des citoyens par l’interdiction de sortir de France et par les emprisonnements arbitraires du Comité de sûreté générale…
Au bout du compte, toutes ces calamités avaient rendu la nation exsangue, elle n’était plus qu’une caricature de République. Refermée sur elle-même, elle était transformée en un immense camp de malheureux écrasés par la peur et la faim…
Surviendra un homme contemporain de cette époque tragique qui se lèvera seul pour combattre les responsables d’une France devenue folle ; il s’appellera Jean de Batz…
Qui était-il, celui dont la doctrine était : «in omni modo fidelis : de toute façon fidèle» ? Très certainement un héros qui fut «l’impresario occulte de la Révolution française, l’agent de toutes les discordes» (Lenôtre). Le moteur de son action qui occupera deux ans de son existence, sera un combat sans relâche contre les instigateurs de la Terreur. Cet homme insaisissable doté d’un courage déconcertant, luttera contre les Terroristes sans jamais être appréhendé. Quel roman que sa vie !
Noble et Gascon comme son ancêtre d’Artagnan, il est né à Tartas le 26 janvier 1754 sous le signe du Verseau. Il dissipera son immense richesse dans la sauvegarde de la Famille Royale. Aurait-il vraiment fabriqué de la fausse monnaie dans le puits de sa maison de Charonne comme son complice l’a relevé avant d’être guillotiné ? C’est plus que probable, bien qu’il disposera de l’or autrichien et de l’or anglais aux seules fins de détruire la Convention.
Après la journée du 20 juin, où Louis XVI fut insulté, il rentrera précipitamment en France pour organiser sa protection.
Il n’est pas exagéré de proclamer avec Lenôtre, que Jean de Batz fut bien «l’impresario de la Révolution»… Son but ne se résumera pas une vague vengeance royaliste, mais à l’engagement héroïque contre le totalitarisme et la peine de mort en défendant la Constitution de 1791.
Comme Jean de Batz fut intrépide, humain et chevaleresque, j’ai décidé de sortir ce «Chevalier de l’Ombre» des placards de l’Histoire où il était injustement enfermé.
Doté par la Nature de tous les dons, on peut affirmer sans exagérer que les fées se sont penchées sur son berceau. Elles lui ont tout donné jusqu’à la beauté. Doué d’une constitution athlétique, il porte de longs cheveux châtains bouclés qu’il réunit derrière en une natte. Il a des yeux gris bleu qui virent au bleu foncés lorsqu’il est contrarié, un nez fin légèrement aquilin qui souligne une forte personnalité, un front haut, un menton pointu, un visage ovale et une bouche gourmande. Il sera doué d’une intelligence hors du commun. Il aura le don de circonvenir avec talents les plus terribles révolutionnaires.
Il faut dire qu’il a aussi reçu de la Providence ce don que Napoléon tenait pour une qualité humaine au même titre que le courage et l’honnêteté et qui était la chance ! Solitaire, il mènera une existence de proscrit. Alors qu’on fuit de toute part la France, il rentre de Londres et évolue dans Paris sous toutes les formes possibles de déguisements. Il ne dormira jamais deux jours de suite dans le même lit. Cette précaution lui sauva plusieurs fois la vie. Fidèle en amitié, il n’abandonnera en aucun cas un compagnon en danger…
Notre récit commence quand le procès de Louis XVI touche à sa fin, et où l’antagonisme entre Girondins modérés et Montagnards extrémistes atteint un paroxysme préoccupant. Jean de Batz craint que la vie du Roi ne soit l’enjeu incontournable de cette lutte. Il tient la plupart des députés de la Convention pour d’aventureux démagogues qui évoquent sans cesse les vertus de la Révolution pour s’enrichir ou éliminer leurs concurrents. Il est persuadé que leurs convictions républicaines ne sont pas sincères et qu’ils vont profiter du jugement de Louis XVI pour s’entredéchirer…
Le travail auquel nous nous sommes attachés, fut de décrire aussi l’immense souffrance du peuple pendant la Terreur…
En attendant, Louis XVI est jugé par une Convention qui s’est transformée illégalement en tribunal pénal. Ces notables qui vont juger le Roi, votent aussi les lois. En droit constitutionnel, ces deux fonctions sont totalement incompatibles, les députés sont des législateurs élus du peuple et non des juges autoproclamés pour rendre la justice. Certains délégués, en accord avec leur conscience, se récuseront et s’abstiendront de voter, ils le payeront de leur vie. La plupart des autres braveront l’illégalité par lâcheté ou par haine et jugeront le monarque sans état d’âme. Les Girondins voudront peut-être le sauver, mais les Montagnard certainement le perdre.
De Batz va prendre de vitesse les partisans de la mort, en tentant de gagner à la cause royale trois notables dont le vote sera déterminant. Il entreprendra d’abord le conventionnel duc d’Orléans dit Philippe-Égalité, puis le comte Louis Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, puissant et richissime député de l’Yonne qui entretient une complicité avec les milieux ultra révolutionnaires, enfin le dernier à convaincre, sera Pierre Vergniaud qui peut entraîner l’adhésion des Girondins dans un vote favorable.
Mais de Batz est méfiant. Il n’attendra pas le résultat du verdict pour connaître le sort de Louis XVI. Tout en menant des pourparlers avec les principaux responsables politiques de l’Assemblée, il montera un commando de 500 hommes armés prêts à toutes éventualités si la vie du Roi était menacée… C’est le sujet de la première partie de la Révolution fracassée…
Une question interpelle toujours les historiens. Pour quelles raisons Jean de Batz est-il resté à ce jour un inconnu ?
Comme nous l’exposerons dans l’épilogue du tome 2, c’est par des traces indirectes que cet «homme invisible» a signé son action. Il existe plusieurs explications à son absence surprenante des livres d’Histoire. Il a été invisible de son vivant, il l’est resté après sa mort. Robespierre l’appelait à juste titre «l’homme invisible» et ne tenait pas à dévoiler la collusion des révolutionnaires avec lui, cela ferait désordre, il faut passer sous silence les patriotes corrompus… Nous avions dans un précèdent ouvrage traité de ce sujet appelé «La stratégie du mensonge». Le peuple ne devait jamais découvrir la vénalité des responsables politiques. Ce régime qui repose sur les sans-culottes n’y résisterait pas.
Au XIXe siècle, nous verrons que des historiens de renom, volontairement ou fortuitement, n’ont pas su déceler sa présence et il demeura si invisible que les historiens contemporains ont mis un certain temps avant de le cerner. Cet étrange silence de l’Histoire a été signalée par Edmond Biré (Journal d’un bourgeois de Paris pendant la Terreur. Gervais et Grimaud édit. 1884). Si le baron, disait-il, est aujourd’hui méconnu de la majorité des Français, la responsabilité en revient aux historiens du XIXe siècle qui l’ont ignoré. C’est vrai qu’un siècle après sa mort, des auteurs, comme Alphonse de Lamartine, Prosper de Barante, Louis Blanc, Adolphe Thiers, Jules Michelet et bien d’autres, l’ont pratiquement ignoré.
Plus prêt de nous, sous la quatrième République et au début de la cinquième, le baron demeura encore un inconnu. On pourrait supposer qu’à cette époque, l’Enseignement aux mains d’universitaires fortement imprégnés d’une idéologie très à la mode, ne pouvaient faire resurgir
des oubliettes l’action héroïque d’un infréquentable contre-terroriste aux convictions si éloignées dès leur. Nous verrons que ce raisonnement s’avéra faux puisque ce seront paradoxalement les robespierristes qui remettront le baron à l’honneur.
Le premier tome de La Révolution fracassée, rapporte le combat opiniâtre de cet homme pour arracher Louis XVI à l’échafaud. Le second volume est consacré à la conspiration qu’il monta pour libérer Marie-Antoinette et ses enfants de la prison du Temple. Mais le sens profond de sa lutte ne se résumera pas à sauver la Famille Royale, le thème constamment retrouvé dans les deux ouvrages restera la destruction du régime révolutionnaire. Pour y parvenir, De Batz devra déstabiliser la Convention, et il y parviendra…. Ce combat contre l’Assemblée est la toile de fond de ce roman.
Pour suivre le baron, nous nous rendrons dans le Paris de ce funeste mois de janvier 1793 où la défense de Louis XVI s’achève pour laisser place à la sentence. Bien que la plupart des événements relatés soient historiques et tandis que nous collions consciencieusement aux faits, nous constations que notre récit tendait vers un roman «à la manière d’Alexandre Dumas». Rien d’étonnant, puisque la vie de Jean de Batz ne fut qu’une suite d’aventures épiques… Ah ! Si le grand romancier avait connu notre héros, nul doute qu’il l’aurait aussitôt adopté car il était de ceux dont il ventait les exploits ; le célébrissime ancêtre de notre baron, s’appelait Charles de Batz !... C’est lui qui a bercé notre jeunesse sous le nom de d’Artagnan… Et cet autre ascendant moins connu mais tout aussi méritant du nom de Manaud de Batz, un héroïque aïeul qui sauva la vie de Henry IV grièvement blessé en 1577 au siège d’Eauze en faisant un rempart de son corps ?… En servant leurs rois de façon indéfectible, ces Batz restaient décidément bien fidèles à leur devise…
Dans l’épisode que nous rapportons ici, l’action débute plus tard, en 1821, quand le baron jouit de sa retraite de Maréchal de camp. Vingt-deux ans se sont écoulés depuis la Terreur. Les Bourbons avec Louis XVIII réoccupent le trône de France et Jean de Batz, grand dignitaire du royaume, est maintenant chevalier de Saint-Louis. À l’occasion de la mort de l’Empereur en 1821, bien qu’ardent royaliste, le vieux courtisan décide d’effectuer un pèlerinage au cimetière de Picpus où ses compagnons de lutte reposent dans des fosses communes. Après avoir rendu hommage à toutes ces victimes, le baron et sa famille reprendront la route de l’Auvergne pour rejoindre son magnifique château de Chadieu.
C’est au cours de ce long voyage à travers la campagne de France, confortablement installé dans sa luxueuse berline, que le maréchal nous racontera son héroïque combat… C’est précisément quand sa voiture parvient au cimetière de Picpus que débute notre récit…
Ménerbes, juillet 2005, aout 2009.
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