Cinéma et la Cinémathèque du Luberon

Ma passion du cinéma remonte à ma plus tendre enfance. Je devais avoir 9 ou 10 ans, un soir mon père rentre à la maison avec deux boites :

- C’est pour toi, me dit-il, dans cette boîte il y a un projecteur et dans l’autre un film. Le projecteur était un Pathé-Baby à manivelle et le film, une fiction de Julien Duvivier : «Veillée d’Armes». (voir ma biographie)
- Tu vas commencer une collection de films, me dit mon père, c’est le plus beau patrimoine culturel qu’on puisse créer...

Comme il avait raison ! … Les années passèrent, la collection s’agrandissait sans cesse. C’était, bien-sûr des films muets. J’avais acquis presque tous les films de Charlie Chaplin, Buster Keaton,  WC Fields mais  aussi les films de Max Sennett. Nous passions des soirées entières à visionner entre amis, Charlot vagabond, Le Meccano de la générale, etc...

Surviennent les films parlants. Mon pauvre père entre temps était mort. La Rolls des projecteurs sonores était alors le «Joinville». Une merveilleuse machine que ma mère m’offrit. C’était le bonheur absolu. Je fis l’acquisition du même «Veillée d’Armes», mais cette fois sonorisé. On pouvait découvrir la voix nasillarde de Victor Francen, les accents mélodieux d’Annabella, toujours aussi belle mais toujours aussi mauvaise dans sa façon de surjouer, et les grognements de Pierre Renoir qui signaient par ses borborygmes la méchanceté du personnage…

Les années passèrent, ma collection devenait de plus en plus imposante. Arrive la terrible Guerre d’Algérie, (voir ma biographie) qui s’acheva par l’Exode bien connu des populations. Il fallait fuir cette terre ensanglantée ou la vie était menacée des deux côtés. Vous aviez le choix de mourir sous les bombes du FLN ou par les balles de l’OAS. La fuite éperdue des Européens ne permettait pas d’emmener une collection de films. J’ai dû l’abandonner comme tout le reste. Je souhaite de tout cœur que mes chères bobines n’ont pas été détruites mais reposent sagement sur les étagères d’une Cinémathèque algérienne, si toutefois elle existe. Sinon elle aura peut-être fait le bonheur d’un Algérien tout aussi passionné que moi, alors j’en serais heureux.

En France mon premier souci fut la survie. Les années passent, ma situation se stabilise, le désir de refaire une collection de films me démange. Johnny Hallyday me fait cadeau de sa collection de films 16 millimètres. Il ya avait des chefs-d’œuvre comme «Sur Les Quais» de Kazan et «King Créole» de Curtiz.

- J’espère que maintenant tu ne vas plus t’arrêter pour compléter ta collection, me dit-il.

La frénésie de la pellicule me reprend. Je me souviens que le premier film en 35 mm que j’acquiers est «La bataille du Rio de la Plata» de Michael Powell. Un film splendide, l’histoire du cuirassé de poche allemand, le Graf Spee qui tomba sur toute la flotte anglaise au large du Rio de La Plata. Une bataille dantesque. A voir absolument.

Les années passent. Je me ruine à acheter des films voués à la destruction. Car il faut savoir qu’on hache les films quand leur exploitation commerciale est terminée. Au lieu de les donner à des collectionneurs qui sont les vestales de la pellicule on pratique l’autodafé des films. C’est grâce aux collectionneurs qu’on a put retrouver des copies qui avaient complètement disparues par la folie destructrice.

Plus tard, tous les producteurs connurent Paul Belaiche, le vrai cinglé du cinéma. Ils me donnèrent eux même les copies. La collection devenant énorme, je décidai de la remettre à une organisation. Ce fut la Cinémathèque du Luberon qui en hérita. Son patrimoine à ce jour comprend près de 7000 copies.

J’avais un ami tout aussi passionné que moi,  Gilbert Grégoire, le maire de Lacoste. Un être délicieux et probablement le plus grand spécialiste au monde, je dis bien au monde, de la mécanique, de l’optique et du son cinématographiques. Nous décidons avec Gilbert de donner vie à cette collection qui dormait. Nous fîmes le tour des villages du Luberon pour organiser des projections gratuites destinées aux enfants des écoles. A chaque séance correspondait un thème. Le premier fut celui du racisme. Nous choisissons le film magnifique de Pierre Boutron  tiré du roman de Serge Lentz, les «Années sandwiches». Pierre Boutron descendit de Paris et commenta le film aux enfants. Les questions fusaient, les enfants étaient enthousiastes.

-Combien de semaines de tournages ?….Combien cela a-t-il coûté ?....Dites monsieur, pourquoi le vieux monsieur dans le film a un numéro tatoué sur le poignet ?.... (c’était un rescapé des camps de la mort….).

Nous poursuivons nos projections avec d’autres thèmes, quand soudain mon cher ami Gilbert fait une mort subite….Toute l’organisation de la Cinémathèque s’écroule. J’étais trop vieux pour continuer tout seul, les projections s’arrêtèrent.

À ce jour la Cinémathèque est en sommeil, je compte transmettre le stock à une Association, à une Mairie, ou à une autre Cinémathèque…

Ainsi finissent 40 ans de collections ; le rêve de mon père s’était concrétisé. Quand à moi on peut imaginer la joie immense joie que j’ai ressentie pendant un demi-siècle, cette joie exceptionnelle que l’on ressent dans l’achèvement d’une passion.

 

 
   
 
   
 
   
   
   
   
 
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
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