JCB – Pour qu’un médecin comme vous s’intéresse autant à Marie-Antoinette, il fallait qu’il fût fasciné par le personnage ?
PBD - En vérité, je l’étais et le suis encore. Mais j’aie eu « deux autres passions » qui m’ont collée à la peau. En dehors de la médecine, que j’aimais autant à enseigner qu’à pratiquer, j’en ai eu deux inassouvies que furent le cinéma et l’Histoire.
JCB – Pourquoi inassouvies ?...La médecine ne vous a-t-elle pas comblé de ses bienfaits ?
PBD – Si bien sûr, mais je voulais être aussi réalisateur et professeur d’Histoire. Mon métier ne me l’a pas permis. On ne peut rien faire en dehors de la médecine. Je pense d’ailleurs que l’Histoire et le cinéma sont complémentaires puisque l’une réalise par l’image ce que l’autre illustre par l’écriture. Bref, mon désir eut été de les réunir toutes deux en écrivant un grand scénario sur Marie-Antoinette. Ce rêve fut à deux doigts de se réaliser. Un producteur américain me demanda un jour d’écrire quatre fois une heure sur cette infortunée Reine car son destin pathétique est toujours très porteur auprès du public américain.
Je me suis mis à la tache avec enthousiasme, d’autant plus que je crois bien connaître la Révolution, et mon D.E.A d’histoire que j’avais commencé dans les années soixante-dix m’avait appris à travailler vite.
Au bout de six mois, la première heure était finie, le scénario sur la jeunesse de la Reine était prêt. L’Archiduchesse Dauphine, Marie-Antonia-Josepha-Johanna de Lorraine d’Autriche n’avait plus de secret pour moi…
JCB – Aviez-vous des dispositions pour l’écriture ?
PBD – J’avais bien écrit des livres de Médecine, mais j’ignorais si j’avais ou pas des dispositions pour l’écriture romanesque…
JCB – …Ne soyez pas modeste, vous avez une jolie plume !
PBD – Je l’admet…Quand je me suis mis au travail, j’ai beaucoup souffert. Il faut savoir que rien n’est plus difficile au monde que de faire parler des Rois ! Si le langage est moderne : on n’y croit pas et s’il est ampoulé, il sombre dans le cliché et le ridicule. il faut dire que Les Rois de France ne faisaient jamais de faute de Français. J’ai toutefois compris un jour qu’on pouvait utiliser un langage moderne pour les faire parler, à la condition formelle qu’il soit soumis à une construction grammaticale rigoureuse. Curieusement cela passe très bien.
JCB – Comme c’est étrange, comment l’expliquez-vous ?
PBD – Soyons honnêtes, en nous exprimant, nous ne respectons plus la grammaire. Les inversions interrogatives par exemple du type, aime-t-il ?...voit-il ?..Pleure-t-elle ? ne sont plus utilisées comme et le subjonctif d’ailleurs ; Voyez-vous une institutrice qui enseigne en banlieue parisienne dire à ses élèves : Mohammed, David et Jean comment se peut-il que tu vous ayez omis la ponctuation dans votre dictée ? Et l’un de répondre : - Madame l’institutrice, il eut fallu que je susse cette forme grammaticale !... On peut rêver n’est-ce pas ?
JCB – Il suffit donc de respecter ces formes inusitées de la grammaire pour lui donner un parfum du passé ?
PBD – Absolument. Mais attention au ridicule. On eut quelques beaux spécimens de ces dialogues déclamatoires et ampoulés dans les films de péplums des années soixante….
JCB – Revenons à votre scénario interrompu, qu’est-il devenu ?
PBD - Après an de travail…..Mon scénario touchait à sa fin, quand patatras, mon beau rêve s’écroule. Les Américains abandonnent : trop cher à réaliser !… Je m’en doutais un peu ! Au fond, il valait mieux renoncer que de faire un film au rabais. Ma femme me dit toujours : « le plus beau film que tu feras sur Marie-Antoinette, il sera réalisé dans ta tête ! » et elle avait raison.
JCB – Quel avis avez-vous de ces productions historiques dont on nous abreuve à la Télévision et
au cinéma ?
PBD - Quand on assiste à la médiocrité de certaines productions télévisées, on réalise que la culture indispensable aux scénaristes pour ce genre de réalisation est totalement absente. Trois maîtres mots pour les illustrer : clichés, vulgarité et incompétence. De nos jours, les scénaristes adoptent un langage ordinaire pour des personnages historiques et peu importe si les Rois et les Empereurs parlent comme des représentants de commerce. On souffre le martyr de l’absence de maintien et de la dégaine de ces acteurs dont l’interprétation est plus près du bal costumé populaire que d’une reconstitution historique. La méconnaissance totale des us et coutumes de l’époque comme l’ignorance de la langue massacrent les dialogues qui font penser à ces phrases qu’on retrouvait jadis sur les cendriers. Quant à la lourde mise en scène qui les caractérise, elle est en général dépourvue de souffle et d’imagination. L’interprétation des personnages historiques est si caricaturale que le but recherché est souvent dépassé et l’on se demande alors « mais de qui s’agit-il ? ». Le public averti ne s’y est d’ailleurs pas trompé en se détournant de ces productions comme le confirme la chute de leur audimat.
JCB – Il y en a eu quand même de bonnes tout de même !...
PBD – Je vous l’accorde et je ne citerai que les bonnes, des mauvaises, je n’en citerai aucune,
JCB – Pourquoi ?
PBD –Plus par compassion que par prudence. Pour réaliser ces productions condescendantes et ratées, on a travaillé sans talent mais on a beaucoup travaillé quand même. Comme des risques humains et financiers importants ont été mis en jeu, la pudeur m’oblige a me taire. Par respect pour les emplois qui ont été bien heureusement crées, dans ce secteur d’activité si difficile où l’angoisse du lendemain pour les intermittents est le pain quotidien, je ne citerai donc personne. En revanche, quel dommage de ne pas avoir utilisé tout cet argent, toutes ces forces vives et ces talents pour créer un spectacle de qualité.
JCB – Allez citez les bonnes réalisations sur Marie-Antoinette !
PBD - Je ne peux m’empêcher de penser à Van Dyke, ce réalisateur qui tourna au début du siècle « Marie-Antoinette », une super production de la Métro-Goldwin-Mayer en collaboration avec Duvivier. Ce réalisateur exigea que tous les acteurs prennent des leçons de maintien pendant trois mois. Le film pêche par son côté hollywoodien bien sûr, mais quelle allure ont tous ces courtisans à Versailles ! et quel bonheur de les voir marcher, s’asseoir, se lever, danser.. etc.….. on pense que c’est certainement ainsi qu’ils bougeaient !…Van Dyke avec l’aide de Duvivier a atteint le but qu’il s’était proposé : il nous a fait rêver !
JCB – Il n’ya pas que les Américains qui ont fait des films historiques si raffinés ?
PBD - Bien sûr, ne serait-ce que Visconti, ce maître de la beauté et du raffinement ; quand je revois la scène d’ouverture de son « Ludwig » qui décrit la cour du roi de Bavière, on est ébloui par la noblesse des acteurs. Même Sacha Guitry, qui obtint l’oscar du meilleur film étranger pour « Si Versailles m’était compté », disait à cet acteur dont je ne citerai pas le nom, qui se vautrait sur son siège :
- Enfin mon ami, surveillez votre maintien, vous n’êtes pas au café de la gare, vous êtes chez le Roi à Versailles !…Et plus près de nous ces productions télévisées de grande qualité que furent l’allée du Roi de Nina Companeez, la Prise du pouvoir par Louis XIV de Rossellini, Les Rois Maudits, la version de Barma bien évidemment et pas l’autre, le chevalier de Maison-Rouge avec toute la Comédie française également de Claude Barma…Toutes ces œuvres de fiction prouvent que le talent existe chez nous mais qu’il est asservi et brimé par des impératifs de rentabilité et par le compérage des chaînes qui imposent d’employer toujours les mêmes.…..Donc oublions mon projet de film !..à moins qu’un jour ?….Sait-on jamais !…
JCB – Il y eut d’autres films sur Marie-Antoinette, notamment celui de Delannoy ave Michèle Morgan ?
PBD – Oui très académique et Michèle Morgan que j’adore, semblait avoir 40 ans tout au long du film. J’ai détesté la façon dont Delannoy l’avait coiffée….Je le répéterai sans cesse, le film sur Marie-Antoinette est toujours à faire.
JCB – Revenons au scénario abandonné qu’avez-vous fait de cette masse de travail ?
PBD - L’ayant fait lire, à un grand écrivain de l’Académie Goncourt, mon voisin à Ménerbes, en tremblant de peur qu’il me rit au nez, je fus étonné de sa réponse :
- C’est très curieux, me dit-il, cela ne ressemble à rien !...mais c’est très intéressant, n’abandonne surtout pas !...il y a une idée à creuser sur ton texte !
J’ai pris sa réponse pour un encouragement et j’ai creusé l’idée. J’ai pensé qu’au fond un scénario était aussi une œuvre littéraire, ne serait ce que par l’intérêt que peuvent susciter les dialogues. On pourrait transformer tout cela en un roman historique en intégrant ces derniers dans une structure narrative très visuelle. Je crois que c’est de nos jours, une nouvelle façon d’écrire des romans en tout cas c’est la plus demandée.
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JCB – C’est parfaitement exact, nous vivons au siècle de l’image. Les œuvres littéraires attendues du public doivent être avant tout « efficacement visuelles ».
PBD – La forme narrative des romans du XIXe siècle est dépassée. Comme je l’ai dit je suis un conteur et non un écrivain. J’ai pensé que ce film qui est dans ma tête je devais le convertir en un texte qui suscite « l’image » dans l’esprit du lecteur. C’était mon but et je pense l’avoir atteint ! En toute modestie je crois que « mon film sur papier » sur Marie-Antoinette n’est pas mauvais. Je me suis astreint à rester toujours « visuel » dans ma narration et j’ai voulu, dès la lecture de la première page, que le lecteur ait l’impression d’assister à la projection d’un film.
JCB – J’ai effectivement éprouvé cette sensation en vous lisant...
PBD – Ce n’est plus de la pellicule qui était projetée mais des images mentales que je prenais soin de susciter dans l’imagination de mon lecteur afin qu’il les projette à son tour sur son écran imaginaire… et c’est mille fois mieux ainsi!……En outre, pour être encore plus suggestif, je me suis attaché à montrer ce que le cinéma ne peut faire : en plus des formes et des couleurs j’ai attaché un soin particulier à la description des odeurs.
JCB – Revenons à votre roman, en vous lisant on sent que vous vouliez faire bouger les choses, notamment l’idée que nous avions de la Révolution. Est-ce exact ?
PBD – C’est parfaitement exact !....Un des motivations qui a m’a poussé à écrire ce roman fut le comportement méprisable des hommes politiques en général et en particulier celui qu’ils eurent envers cette malheureuse femme.
JCB – Toute ma jeunesse fut imprégnée de sa célèbre phrase : « S’il n’y a pas de pain, donnez-leur de la brioche ! » Pourquoi ?
PBD – Une phrase qu’elle n’a jamais prononcée. !...Elle fut reprise à son compte très probablement par la clique d’Orléans qui menait une formidable campagne de diffamation contre elle. Voilà bientôt deux cent cinquante ans et pourtant on lui attribue encore cette phrase. Comme la calomnie a vraiment la vie dure !…
JCB – Si deux cent cinquante ans après cette phrase est encore citée , on peut imaginer son impact sur le peuple quand elle s’est répandue, une vrai mise à mort !...revenons à la Révolution, je répète, votre intention a bien été de faire bouger les choses n’est-ce pas ?
PBD – C’était effectivement mon intention. À l’école, on m’avait inculqué la légitimité indéfectible de la Révolution Française, parfaitement légitime évidemment quand il s’agit de celle de 1789 qui incarnait les Lumières. Or on fit l’amalgame avec celle 1793 qui n’incarnait plus le même idéal. Les horribles années 93 et 94 où le peuple vit s’abattre sur lui la Terreur de Robespierre et ses sbires, étaient exposées par nos professeurs d’Histoire sans le moindre état d’ame.. Quand je me disais choqué par le nombre de guillotinés, ils me répondaient que le salut de la République devait être au-dessus de telles contingences, même de la peine de mort. Pour eux, Robespierre avait raison quand il disait « Vouliez-vous d’une Révolution sans Révolution ? » Quand il s’agissait d’asseoir la République, on ne devait avoir aucun état d’âme !...Un langage que nous entendions dans les années 50 et 60…Qu’est ce que 3000 têtes coupées à Paris quand il s’agit d’encrer la République, comme si ces régimes totalitaires était la République !!...
JCB – Cette approche aberrante s’est maintenue jusqu’à nous ? De 93 à nos jours, il fallait des relais pour que qu’elle survive. Il m’a semblé que les historiens du XIXe siècle, comme Michelet et Louis Blanc avaient pris ce relais du mensonge ?
PBD – Pas seulement eux, tous ! Lamartine, de Barante, Thiers…C’étaient d’ardents et loyaux républicains qui n’auraient jamais critiqué la Révolution Française. Au début du siècle, quand Mathiez et bien d’autres régentèrent l’histoire de France à leur façon, ils firent entrer dans notre conscience vierge d’enfants, que « les soit disant crimes commis par les révolutionnaires » étaient légitimes. Des générations entières ont gobé ces mensonges pendant des décennies…
JCB – C’était l’époque de la toute puissance de Sartre, d’Aragon et d’Elsa Triolet, contre Camus et Aron.
PBD – Que reste-t-il de l’utopie communiste de cette époque , celle du mur de Berlin ?...Rien ! Il fallait donc montrer le vrai visage de ces hommes qui dirigèrent la France en 1793 et 94, d’ambitieux assassins qui égorgèrent plus de 3000 personnes dans Paris et 40.000 en province. Quand on plonge dans les Archives nationales et qu’on touche du doigt des papiers qui ont été tenu par ces malheureux qui signaient leur condamnation à mort par une simple croix parce qu’ils ne savaient ni lire ni écrire, on est saisi par un sentiment mitigé de tristesse de révolte et de dégoût. Robespierre et sa clique avaient assis leur pouvoir sur deux piliers, la peine de mort et la délation. Que ceux qui veulent défendre sa mémoire me prouve le contraire, nous avons mille preuves des crimes qu’il a commis. Le débat est ouvert. Cet homme soit disant valeureux rencontrait tous les soirs à dix heures le sinistre Fouquier-Tinville à qui il remettait la liste de ceux qui devaient être jugés d’office et envoyés à la guillotine !. On ne pouvait pas dire « qu’il ne savait pas » comme l’ont affirmé la plupart des chefs nazis à Nuremberg.
Et puis la vérité inéluctablement a ouvert nos yeux et a liberé notre jugement, mais cela nécessita des siècles. Les avis changèrent progressivement devant l’évidence des crimes, comme disait la vertueuse Manon Roland : « on ne peut mentir à l’impartiale postérité ».
Fin de l’entretient.
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