De la culpabilité de Marie-Antoinette

                                          

Une question reste en suspens : Marie-Antoinette était-elle coupable ?


Si l’on s’en tient strictement à l’aspect juridique de ce procès, pour plusieurs raisons, la réponse est non.

La première est le vice de forme dénoncé par ses défenseurs. Le temps qui leurs fut imparti pour défendre la Reine fut si court, qu’ il empêchait toute défense effective. Si la requête des deux avocats, jamais transmise par Fouquier-Tinville, était parvenue sur le bureau de la Convention, l’Assemblée lui aurait très probablement accordé des délais... Mais c’eût été une perte de temps dont Robespierre ne voulait en aucun cas, il ne pouvait prendre le risque de voir sa captive mourir dans son cachot. Informé par son médecin, le docteur Souberbielle qui traitait aussi la Reine, il savait que la gravité de ses hémorragies hypothéquait sa vie ! Souberbielle fut ce médecin au comportement trouble qui eut la chance de guérir les ulcères variqueux de l’Incorruptible et gagner ainsi sa confiance. Il semblerait que ce dernier plaça son praticien auprès de la Reine pour la faire vivre jusqu’au procès. Souberbielle la traita par la fameuse « eau de poulet », un traitement très en vogue à cette époque.

On comprendrait mieux pourquoi Robespierre pressa Fouquier-Tinville de rédiger le plus rapidement possible l’acte d’accusation et d’ installer son médecin comme juré dans son procès. Bien que les jurés fussent asservis au pouvoir, la présence du praticien à leurs côtés était une garantie supplémentaire pour obtenir une condamnation à mort votée à l’unanimité. Souberbielle devait persuader les hésitants de la dernière heure qu’il fallait voter la mort sans regret puisque de toutes les façons Marie-Antoinette était condamnée ; il eut été alors dommage de perdre les avantages politiques de son exécution. Seul le médecin de la victime pouvait être assez persuasif pour leur faire accepter cette ignominie.   

La lettre adressée à la Convention et écrit par la Reine sous la dictée des deux avocats fut offerte par Fouquier-Tinville à Robespierre qui la conserva pieusement. On la retrouva après sa mort sous son matelas avec d’autres documents appartenant à la famille royale, dont le fameux testament moral que Marie-Antoinette adressa à Elisabeth avant de mourir....

Il existe un second vice de forme qui désigne ce procès truqué. Il est caractérisé par une exceptionnelle anomalie juridique puisque la Reine fut condamnée par une loi rétroactive. La constitution de 1791 rendait le Roi inviolable et lors de l’affaire Polverel, l’Assemblée Constituante étendit cette disposition à la Reine. Le tribunal n’en tint pas compte et lui appliqua une loi promulguée postérieurement aux accusations.
La seule sanction prévue par la constitution qui était en vigueur au moment des faits était l’abdication.

En outre, la condamner à nouveau alors qu’elle l’avait déjà été un an auparavant, quand la monarchie fut suspendue, constitue la troisième anomalie. En droit naturel on ne peut condamner deux fois un accusé pour le même motif.

La dernière caractéristique de ce procès indigne fut l’absence absolue de preuve à charge... André Castelot l’a parfaitement résumé, écoutons-le (Marie-Antoinette - André CASTELOT, Perrin 2002) :
«En supprimant les bas commérages, les ragots de cuisine, des coulisses des clubs et des témoins de la prison du Temple, que reste t-il de positifs et de faits à charge ? La description d’orgies Versaillaises par des témoins qui n’y ont pas assisté, l’accusation sans le moindre document à l’appui de sommes remises aux Polignac, l’influence de la Reine sur son mari affirmée par des gens qui n’ont jamais vécu dans l’ intimité de la famille royale.
Rien strictement rien ne vient étayer ce que Fouquier appelle la trahison.

Les débats n’ont nullement démontré, que Marie-Antoinette, plus princesse autrichienne que Reine de France, obéissait aux ordres de sa mère et de son frère par le canal de Mercy-Argenteau. Rien n’a été établi, pas plus sa légèreté coupable, ses amitiés aveugles, son influence néfaste, ses intrigues avec l’étranger que sa politique vacillante, ses rancunes trop tenaces, son double jeu en 1791, et sa trahison de 1792. Mais pour tous ce fut  un faits patent pour ce Tribunal Révolutionnaire qui piétinait le droit.".

Sainte-Beuve, dans les «entretiens du lundi» attire notre attention sur le fait que nous ne possédons que des éléments tronqués de ce procès. Le greffier Fabricius, aux ordres des révolutionnaires n’a transcrit qu’une part négligeable des réponses de la Reine qui furent réduites à leur plus simple expression. On ne retrouvera nulle part la version complète des plaidoiries de ses avocats.

Comme le dossier de Marie-Antoinette était vide, et qu’on ne disposait pas du temps nécessaire pour l’étoffer, on lui attribua tous les chefs d’accusation de Louis XVI. De ses défenseurs, seul Chauveau de Lagarde a laissé un témoignage écrit de sa défense, et encore celle-ci fut très parcellaire, tandis que nous ne possédons rien de la plaidoirie de Tronson du Coudray. Déporté aux îles après le coup d’état de fructidor, il y est mort sans laisser la moindre trace de son plaidoyer. Chauveau, également déporté, mais plus jeune, eu plus de chance ; il survécut, rentra en France, et publia un mémoire très incomplet sous la Restauration.

Les griefs reprochés à la Reine étant les mêmes que ceux de son époux, j’ai repris les arguments de De Seze qui fut l’avocat du Roi, pour bâtir la plaidoirie de Tronson Du Coudray. Comme aux mêmes attaques s’opposent les mêmes défenses, je ne crois pas que je me sois beaucoup éloigné de la vérité.

Malgré toutes les critiques dont ils furent l’objet, il est fort probable que les avocats défendirent la Reine avec beaucoup de courage, sinon comment admettre qu’ils fussent arrêtés à la fin des débats. Chauveau de La garde défendit trois mois plus tard l’infortunée Elisabeth avec tant de conviction qu’il fut encore arrêté mais cette fois ne dut la vie qu’à la chute prématurée de Robespierre. Les déclarations de Tronson Ducoudray vont dans le même sens quand il affirme : « Nous ne parlerons pas de ce procès, nous nous contenterons de rappeler les fables dégoûtantes d’horreur et d’infamie qui furent un des chefs principaux d’accusation, et dont l’énergique réfutation nous valut l’instant d’après d’être détenus avec notre collègue Chauveau-Lagarde. »

J’ai bâti la défense des avocats de la Reine afin que ne soit négligé aucun grief ni aucune calomnie. J’ai apporté un soin particulier aux dialogues de telle sorte que la moindre fausse accusation soit résolument contrée, au risque de paraître comme un dangereux affrontement avec les terroristes, et c’est probablement ce qui a du se passer.

Reste enfin l’épineux problème de la «haute trahison», ce fut le seul motif retenu alors que tous les chefs d’accusations fantaisistes bâtis à grands frais par Fouquier-Tinville furent ignorés in fine par Herman. C’est encore une preuve supplémentaire de l’aspect artificiel du réquisitoire de l’accusateur public. Même la haute trahison n’a pu être démontrée puisque les preuves matérielles, au moment où le procès se déroula, furent introuvables. Sur ce chapitre où elle endosse pourtant une certaine responsabilité, la Reine ne fut condamnée que sur des présomptions.

Essayons de saisir l’état d’esprit de Marie-Antoinette. Cette notion de «haute trahison» doit être replacée dans le contexte de la Révolution. Comme nous l’avons signalé, lors de la convocation des États Généraux, la Reine soutient Necker qui veut promulguer le doublement du Tiers Etat. Elle croit innocemment en des arrangements possibles mais limités avec la nouvelle Assemblée Nationale. Or six mois plus tard elle subit la violence populaire, et voit la tête de ses gardes au bout d’une pique. Elle côtoie pratiquement leur massacre effectué à deux pas de la porte de sa chambre et échappe de justesse à la mort en se réfugiant chez le Roi. Le traumatisme sera indélébile d’autant plus que le devoir de la Garde Nationale et de La Fayette, symboles de la nouvelle constitution, était de protéger la famille Royale contre de tels excès. Ne parlons pas du retour qui s’en suivit à Paris où le Roi et la Reine durent subir pendant sept heures les insultes des sans-culottes et des tricoteuses, qui promenèrent sous leur nez durant tout le trajet les têtes sanguinolentes de leurs gardes du corps. Il est inadmissible que La Fayette ait permis de tels excès.

La haine qu’elle portera au commandant en chef de la Garde Nationale ne s’éteindra jamais. Quand la situation devint dramatique pour tout le monde, y compris pour les constitutionnels, on lui fit savoir que La Fayette était prêt à sauver la famille royale au besoin par la force, elle répondra : « …Et qui ensuite nous sauvera de monsieur de La Fayette ? » C’est dire si la blessure était profonde.…

Elle n’aura plus confiance en cette monarchie constitutionnelle qui s’efface et disparaît devant les extrémistes et dont sa famille devient l’otage. Pratiquement prisonnière aux Tuileries, la Reine va chercher des secours ailleurs. Elle va hélas tourner le dos à des hommes sincères comme Barnave, qui veulent la sauver en sauvant le régime. Elle préférera se tourner vers son frère l’Empereur d’Autriche qui se battait contre l’armée de son propre pays. Même Mirabeau, inquiet de la tournure violente des événements, tentera de sauver la monarchie constitutionnelle ; mais il mourra prématurément.

Entretenir des intelligences avec ceux qui combattent nos troupes est un acte grave. Ce que nous tenons, nous, pour de la « Haute trahison » ne fut pour Marie-Antoinette que «de la politique». Elle va se battre contre la pression constante exercée sur le Roi par les révolutionnaires avec tous les moyens dont elle dispose. Si nous tenons cette attitude comme répréhensible puisque la vie de nos soldats était en jeu, pour elle ce n’était que de la légitime défense. C’est ainsi qu’elle commettra, comme je le pense avec tant d’excuses, « des fautes, reconnut-elle, mais pas des crimes ».  À sa décharge, la démagogie révolutionnaire avait atteint de tels sommets qu’on peut se demander sur quelles forces elle pouvait encore s’appuyer pour protéger sa vie et celle de sa famille.

Pour conclure, nous devons reconnaître enfin qu’elle n’a jamais fait couler une seule goutte de sang, ce fut hélas loin d’être le cas de ceux qui l’ont combattu.

 

   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
   
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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